Loïc Dubois et Marie Flon

I – LE PORTEFEUILLE

Le portefeuille 1272 fait partie des recueils de géographie-topographie de la collection Gaignières. Constitué de 14 pages, intitulé « Autre cotté Flandres françoise », il comporte 194 pièces dans l’inventaire pièce à pièce de Clairambault, cependant, nous en comptons 192.

La Flandre dans les portefeuilles de François-Roger de Gaignières

La couverture de la Flandre mobilise quatre portefeuilles de la collection : les numéros 1261, 1264, 1272 et 1273. Le 1261 correspond à la Flandre hollandaise, le 1264 à la Flandre espagnole, notre portefeuille 1272 correspond à la Flandre française, tandis que le 1273 correspond à la Flandre wallonne.

Il convient de préciser la terminologie. La plaine de Flandre est géographiquement délimitée par des éléments naturels : les collines de l’Artois au sud-ouest, l’Escaut au sud-est puis l’estuaire de l’Escaut et la mer du nord, dans la direction éponyme. Dans le cas de notre recueil, François-Roger de Gaignières (1642-1715) a choisi le terme de Flandre française. Au XVII^e siècle, la « Flandre française » coïncide avec les territoires flamands possédés ou conquis par Louis XIV, donnant naissance aux provinces de Flandre maritime (au nord) et de Flandre wallonne (au sud) dans les années 1660. Aujourd’hui, la « Flandre française » ne correspond plus qu’à la moitié nord-ouest du département du Nord (en remontant depuis Douai et Orchies).

Toutefois, les localités que le collectionneur rattache à son recueil « Flandre françoise » évoquent davantage l’extension maximale de la province de Flandre maritime – entre la fin du Grand Siècle et le traité d’Utrecht (1713) – que l’ensemble des possessions françaises en Flandre [fig. 1]. La province est alors constituée des territoires de Bailleul, Bergues, Bourbourg, Cassel, Comines, Courtrai (?), Dixmude, Dunkerque, Furnes, Gravelines, La Motte-aux-Bois, Loo, Menin, Merville, Poperinge, Roulers, Tielt (?), Warneton, Wervicq, Ypres. Hormis Comines, qui figure dans le portefeuille 1273, les entités territoriales citées sont toutes présentes dans le portefeuille 1272.

Agencement et contenu du portefeuille

L’agencement du portefeuille ne semble pas suivre un ordre particulier. De la page 94 à 98, il est question de villes côtières (Gravelines, Bourbourg, Dunkerque et quelques forts). À partir de la page 99, les localités sont dans les terres, autour de Courtrai, Menin, Ypres, Roulers et Cassel, entre autres. Puis, le portefeuille opère un retour à la côte pour les pages 104-106, avec Furnes, Bergues et Dixmude. Enfin, d’autres estampes sur Cassel et Watten complètent l’ensemble.

De manière générale, l’inventaire fait état d’un ordre spécifique dans l’apparition des documents. Il est probable que les estampes aient été rangées selon la châtellenie traitée. Le cas d’Ypres servira d’exemple (voir pages 102-103). Les documents sont agencés du général au particulier. Nous trouvons, dans l’ordre, le diocèse, une carte de la châtellenie, puis viennent des plans, une carte du gouvernement et des vues de la ville. Des vues d’édifices remarquables de la localité et des alentours (châteaux, abbayes) sont disposées à la fin.

Les types de documents mentionnés dans l’inventaire sont au nombre de quatre : des cartes, des plans, des vues ou bien des documents mixtes, incluant un plan et une carte ou bien un plan et une vue. Les vues sont les plus représentées, avec 97 occurrences, soit 51% du portefeuille, alors que les cartes ne concernent que 23 items, soit 12% du total [fig. 2]. En outre, les documents colorés sont rares dans le portefeuille (17 items, soit moins de 9%). Si l’inventaire est fidèle à l’ordre établi par Gaignières, nous constatons que ce dernier choisit de ne pas conserver l’ordre de Beaulieu (carte, plan, vue) : il permute le plan et la vue de profil : carte, vue de profil puis plan.

Provenance des documents

Au cours de nos recherches, nous avons identifié plusieurs sources de provenance pour les documents. Gaignières avait très probablement connaissance des grands ouvrages de cartographie de son temps : la Flandria illustrata (1641), d’Antoine Sandérus (1586-1664), Les glorieuses conquestes de Louis le Grand (1694) et Plans, profils et vues de camps, places, sièges, batailles, servant à l’histoire de Louis XIV, édités par Sébastien Pontault de Beaulieu (1612-1674). 

L’ouvrage de cartographie Flandria illustrata fut particulièrement utile pour illustrer les possessions nobiliaires (vues de châteaux), les petites villes et les villages de Flandre [fig. 3]. Les deux volumes étaient en la possession de François-Roger de Gagnières, comme l’indique la notice de l’item 4209. Le format indiqué dans l’inventaire est généralement le folio, alors que de nombreux exemplaires estampillés « Gaig » et des exemplaires de substitution sont des quarto [fig. 3].

Le collectionneur accumule les documents au sujet d’un même monument. Divers plans traitant d’une seule et même localité peuvent ainsi coexister au sein du portefeuille, comme le prouve le cas d’Ypres, page 102.

Les ouvrages de l’ingénieur militaire Sébastien Pontault de Beaulieu (1612-1674) occupent eux aussi une place importante dans le portefeuille. Gaignières a systématiquement recours à ses livres. Des glorieuses conquestes, il utilise des in-quarto qui comportent généralement une carte du gouvernement, un plan et une vue en profil pour chaque ville. Dans l’inventaire, ces triades de in-quarto sont souvent regroupées à la suite, comme nous pouvons le constater en page 94 (La ville de Dunkerque, pages 96-97, en compte huit à elle seule. Cette surreprésentation n’est pas anodine, les documents colorés proviennent peut-être d’une même source). Nous n’avons pas pu consulter Plans, profils et vues de camps, mais il s’agit probablement de l’origine des plans et vues in-folio traitant du siège des localités au cours des conquêtes de Louis XIV. Ces vues de siège sont généralement accompagnées d’une carte du gouvernement tirée des glorieuses conquestes (voir les items 46 et 47). Dans l’ordre des documents d’une ville, il est courant que ces vues in-folio closent une série ou bien qu’elles se trouvent juste avant des vues d’édifices spécifiques (voir page 94 et en bas de page 102).

La langue des items est majoritairement le français, avec quelques occurrences de documents en latin ou en italien, comme pour l’item 168. Les documents issus de Flandria illustrata utilisent le latin pour la présentation des dignitaires et le français pour la légende, sauf dans le cas des institutions ecclésiastiques où les inscriptions sont entièrement latines (regarder l’item 173).

Les graveurs

Une étude attentive des graveurs mentionnés est nécessaire pour saisir au mieux le fonctionnement de l’inventaire. Elle permet de rattacher des items, non trouvés lors de nos recherches, à des exemplaires de substitution illustrant les ouvrages indiqués plus haut. Sur 19 personnes mentionnées, seules 14 peuvent être considérées avec certitude comme des graveurs. Les occurrences pour Vedastus du Plouich et Nicolas Cochin sont les plus nombreuses (36 et 9) [fig. 4]. Néanmoins, la signature n’est pas récurrente sur les gravures, ce qui signifie que bien plus d’items peuvent leur être attribués par comparaison stylistique [fig. 3]. Il est possible de distinguer deux groupes : les graveurs français (dont Jean Boisseau, Nicolas Cochin ou D. Perel) et les graveurs flamands (Vedastus du Plouich, Louis de Bersaques, Louis de Dasaques ou encore Louis de Tielt).

Nicolas Cochin (1610-1686) et D. Perel (ou Perelle) ont œuvré pour Beaulieu. Il est possible de distinguer leurs productions respectives. Le premier réalise des vues de villes au format in-folio, avec des encadrements fort ornementés [fig. 4]. Le second signe uniquement des vues de villes au format in-quarto, comme sur cette Veue en perspective de la ville et du siège d’Ypre, item 120, reproduit dansLes glorieuses conquestes.

Les estampes des graveurs flamands mentionnés sont tous reproduits dans Flandria illustrata. En l’absence d’une étude plus approfondie, il demeure difficile de définir des caractéristiques propres à ces artistes.

II – ÉTAT DE LA RECHERCHE

Résultats obtenus à partir des fonds dépouillés

Un seul département de la BnF a été visité : le département des Estampes et de la photographie, sur le site Richelieu.

Les cotes dépouillées sont au nombre de dix : VA-59 (1-4 ; 7-9) ; VA-62 (10) ;  VA-410 (ft4) et SNR-3 PLOUICH. Le recueil renfermant le plus d’estampes de notre portefeuille est le Recueil de la Topographie de la France : Département du Nord correspondant à la cote VA-59. Nous avons aussi fait venir un recueil de l’œuvre de Vedastus du Plouich (SNR-3 PLOUICH)depuis le magasin de Tolbiac. Cet ouvrage n’a fourni que des exemplaires de substitution.

Notre travail a permis de collecter 39 estampes portant l’estampille « Gaig » et 72 estampes employées comme exemplaire de substitution [fig. 5]. Ces dernières ont toutes été rentrées sur Collecta, avec une photographie.

Orientations de recherche

Il reste de nombreuses cotes à consulter pour compléter ce travail. Sur le site de l’Arsenal, la cote EST-1660 (1-91) renferme des estampes de villes belges. Les recherches pourraient également donner des résultats dans les collections des Cartes et plans. Enfin, des cotes anciennes sont à relier à de nouvelles cotes : AA-10, IE-10i, IE-13, IE-11A, OA-48 et VX-55 (ces cotes proviennent du répertoire de topographie, consultable dans des tiroirs dans la salle du département des Estampes).

Pour obtenir d’autres exemplaires de substitution, il conviendrait d’approfondir les recherches sur les ouvrages de Sébastien Pontault de Beaulieu.

Les difficultés rencontrées

Notre travail a soulevé trois enjeux. Le premier était celui de la localisation des lieux traités. La Flandre est une région historique dont les frontières sont instables. Le territoire est divisé entre la France et la Belgique, ce qui a entraîné une difficulté dans notre recherche d’estampes. Ainsi, les estampes belges n’ont pas été localisées avec précision, en l’absence de consultation de la cote EST-1660 à l’Arsenal. De plus, les noms de localités ont changé avec le temps, ce qui explique que Bailleul soit appelée « Belle » dans l’inventaire de 1711.

En outre, il faut mentionner le degré de précision variable de l’inventaire. Les noms de graveurs ne sont pas systématiquement relevés dans les intitulés, c’est le cas pour Vedastus du Plouich, dont le nom n’est pas mentionné aux items 31 et 58, alors qu’il signe les estampes correspondantes. De même, l’inventaire indique parfois la présence d’un document mixte, comme l’ item 14, affichant un plan et une vue en profil de Gravelines, ce qui n’est pas le cas de l’ item 164, qui possède pourtant la même caractéristique. Une autre difficulté portait sur les estampilles « Gaig » apposées au XIX^e siècle. Si la plupart étaient correctes, il nous est arrivé de mettre la main sur des documents qui ne pouvaient guère être attribués à la collection de Gaignières. C’est le cas d’une carte de Dunkerque, réalisée par Pierre F. Carpeau en 1765 (VA-59 (7), H138698).

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